Syndicat IDÉES-ESR syndicat Intercatégoriel, DÉmocratique, Egalitaire et Solidaire de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche

Racisme, sexisme, etc : à la recherche d’une position syndicale cohérente

Depuis sa création récente, notre syndicat IDÉES-ESR affirme sa volonté de poursuivre l’action syndicale dans l’enseignement supérieur et la recherche, en regroupant des personnels des divers statuts existant dans ce secteur professionnel. Cette action consiste principalement à défendre les intérêts individuels et collectifs des collègues, face aux atteintes aux droits et aux statuts, à la dégradation des conditions de travail et de rémunération, et à la déconstruction du service public opérée par les gouvernements successifs et leurs relais bureaucratiques locaux (présidences d’université, directions d’organismes).

Au-delà, nous inscrivons notre syndicalisme comme partie prenante de toutes les luttes cherchant à transformer radicalement le cadre social actuel pour construire une société émancipatrice débarrassée du capitalisme. Militant pour une société autogérée sans exploitation ni hiérarchie imposée, nous appliquons ces principes au sein de notre syndicat : nous affirmons ainsi notre volonté de maintenir un cadre démocratique et convivial au sein de notre organisation, où les comportements autoritaires et les logiques hiérarchiques ou carriéristes n’ont pas leur place.

Il va de soi – mais ça va mieux en le disant – que les objectifs rappelés ci-dessus sont incompatibles avec toute forme de discrimination ou de violence associée à des préjugés sur le sexe, l’orientation sexuelle, les origines, la couleur de peau ou l’état de santé des individus. Ainsi, nous rejetons fermement ces préjugés et toute idéologie associée.

Ces dernières années, au sein du milieu syndical, nous constatons le développement important du thème des discriminations dans les analyses, les prises de position, les discussions internes. Comme l’a montré récemment le rapport de l’Observatoire des Inégalités1 , même si les discours institutionnels et politiques (École, services publics, collectivités, etc.) font une place importante à la lutte contre les discriminations, et que certains progrès sont observés, les violences et discriminations associées au racisme et au sexisme sont encore bien présentes dans la France de 2024.

L’éveil des consciences (wokeness) face aux discriminations s’inscrit dans la continuité de combats menés historiquement par les organisations de gauche : partis, syndicats, associations. On peut aussi l’interpréter comme une réaction à l’« extrême-droitisation » promue par une partie de la classe dirigeante : scores du RN, groupuscules réactionnaires violents, évolutions législatives et administratives à l’encontre des immigrés extra-européens, essor d’un secteur médiatique d’extrême-droite de large audience, tirant l’ensemble du débat public vers les thématiques réactionnaires (identité nationale, « valeurs familiales », autorité de l’État sur les individus, etc.).

Mais dans le milieu syndical et militant, nous constatons l’essor de discours et de pratiques qui ne peuvent pas nous convenir non plus.

Ainsi, pour être reconnu comme un militant « comme il faut », il serait de bon ton : (1) d’analyser tout phénomène de discrimination comme un « système d’oppressions » racistes, sexistes, transphobes, validistes, classistes, etc, dont on ne pourrait sortir qu’en déconstruisant les privilèges associés; (2) de délaisser ou rejeter les analyses basées sur des préoccupations sociales communes (conditions de travail, « rapports de production », logement, santé, etc) et non spécifiquement sur le sexe ou l’origine, car les approches « universalistes » ne seraient que l’héritage de la civilisation européenne et patriarcale, et les victimes de dominations spécifiques auraient le droit de ne pas s’y reconnaître. Quand ces logiques sont suivies jusqu’au bout, elles conduisent à nier d’une part la réalité de certaines avancées en termes de lutte contre les discriminations, et d’autre part la réalité de l’exploitation subie par des individus présumés privilégiés : double impasse stratégique. Elles encouragent ainsi des formes de luttes fractionnées, où il serait considéré comme impossible à un individu « privilégié » de saisir le vrai sens de ce que subit un « opprimé » : fini le débat fraternel argumenté, place à la concurrence des légitimités sur fond de « bienveillance conscientisée ». De plus, sous couvert de lutte contre le post- colonialisme, le racisme ou la discrimination religieuse, il deviendrait acceptable de mener des actions communes avec des organisations réactionnaires et racialistes.

En association avec ces discours, se répandent des pratiques qui finissent par rendre les rencontres et les discussions invivables, et provoquent des conflits en cascade et finalement le découragement de nombreux militantes et militants. Est apparue une culture du soupçon généralisé, où chacun peut à tout moment se retrouver accusé de sexisme ou de racisme, sur la base d’interprétations caricaturées de ses propos ou prises de positions… comme s’il s’agissait en permanence de « débusquer » les mauvaises pensées logées fond de l’esprit de chacun. Le débat tourne à l’échange agressif-hyperactif, sur le modèle des réseaux soi-disant sociaux, où le « ressenti » et la « punchline » sont rois, et où sévit une censure de fait sur les expressions contradictoires. Surtout, bien souvent, le débat serein est disqualifié a priori en assimilant expressément la critique argumentée à des idées d’extrême-droite.

Ces travers vont fréquemment de pair avec les intérêts de quelques « cadres » ou « experts » de la contestation, qui maîtrisent bien les codes de cette nouvelle orthodoxie, et en font usage au bénéfice de leur propre ascension sociale, comme le font les bureaucrates et les arrivistes de tout temps.

Quant à nous, dans notre action syndicale directe, nous avons à dénoncer et à combattre, sur le lieu de travail, les violences et autres atteintes discriminatoires aux droits des collègues, que ces atteintes soient l’effet de préjugés individuels ou d’idéologie. Plus largement, nous concevons les luttes sociales comme une confrontation toujours renouvelée avec la classe dirigeante. Pour celle-ci, le racisme et la xénophobie représentent des atouts qu’elle peut toujours activer lorsqu’il lui paraît utile stratégiquement de diviser la société. De même, elle encourage d’autres ostracismes en fabriquant des « ennemis de l’intérieur » (non-vaccinés pendant la crise sociale du Covid-21, fonctionnaires grévistes, mouvements de solidarité avec le peuple palestinien, etc.), et elle tolère le racisme endémique dans certains secteurs policiers, qui lui sont nécessaires pour réprimer les contestations. Quant au sexisme, il permet d’entretenir une forme aigüe d’exploitation capitaliste, en imposant à des femmes le travail à temps partiel, les bas salaires et la précarité, sous le prétexte implicite que leur « vrai rôle » serait à la fois d’effectuer le travail domestique et d’occuper des emplois dévalorisés.

Nous ne sommes pas naïfs non plus quant à l’attachement de la classe dirigeante aux « valeurs inclusives ». En France comme ailleurs, c’est depuis que la gauche de gouvernement a choisi de trahir son programme de défense des intérêts des classes populaires et épousé la cause de la dérégulation, qu’elle met en avant les « valeurs de tolérance de gauche », pour ne plus s’adresser qu’aux classes moyennes sur un mode essentiellement individualiste, et pour ringardiser les organisations ouvrières qui l’ont pourtant historiquement portée au pouvoir. D’autre part, la mise en concurrence des revendications spécifiques de « groupes opprimés », au détriment de luttes sociales ancrées dans le vécu commun de tous les exploités, est dans le droit fil de l’idéologie néolibérale qui sous-tend le capitalisme contemporain.

Conclusion

Comme pour les autres acquis sociaux et politiques, nous sommes convaincus que les avancées durables contre les discriminations sont obtenues, non pas par l’action moralisatrice d’une « avant-garde éclairée », mais lorsqu’elles s’inscrivent, sans exclusive, dans un large mouvement de luttes mettant en cause les contradictions profondes du système capitaliste et de l’État qui le soutient. Ces victoires féministes, antiracistes, anticolonialistes, etc. intègrent alors notre héritage social, à défendre contre les manœuvres démagogiques de la classe dirigeante, et les assauts des sectes identitaires de tout poil. Aussi, gardons-nous de devenir une ligue de vertu pour la propagation de la foi inclusive, et conservons un collectif syndical faisant honnêtement son boulot de contre-pouvoir sur le lieu de travail, et prenant sa part à la lutte sociale.

Syndicat IDÉES-ESR, Mai 2024
contact@idees-esr.fr

Proudly powered by WordPress

(2)

  1. Voir https://inegalites.fr/L-essentiel-sur-les-discriminations-en-France ↩︎